Stéphanie* est Professeure des Ecoles depuis 18 ans. Après avoir travaillé durant 15 ans en CP dans une 1ère école, elle exerce depuis 2 ans en maternelle dans un nouvel établissement. Et pour elle, malgré les « bons côtés » du métier, ça va craquer… Témoignage.
Stéphanie, peux-tu nous décrire rapidement ton école ?
Il s’agit d’une petite école rurale de 4 classes (de la petite section au CM2). Avec un effectif global de 95 élèves. J’ai les « très petits, petits et moyens », soit 30 élèves – de 2 ans et 4 mois à 4 ans. Ça, c’est l’effectif à la rentrée. En ajoutant les nouveaux en cours d’année, nous arrivons à 35 vers le mois d’avril. Je travaille avec une ASEM à temps complet dans ma classe.
Tu évoquais l’hétérogénéité des élèves ?
L’âge des élèves est un premier critère d’hétérogénéité compte tenu du triple niveau. Mais ce n’est pas le plus difficile. C’est le comportement des élèves – ou les troubles d’apprentissages – qui sont beaucoup plus complexes à gérer.
Lors de mon début de carrière, il existait des CLIS, qui accueillaient des enfants en grandes difficultés scolaires. Même si je n’en avais pas dans mon école, je pouvais y orienter les enfants qui en avaient besoin. Aujourd’hui, ces CLIS ont disparu (depuis 2015) et nous devons donc accueillir tous ces enfants.
Sur le fond, c’est intéressant d’intégrer ces jeunes. Mais nous n’avons pas eu de moyens supplémentaires, et le nécessaire travail individuel avec eux est quasi-impossible. Le nombre d’AVS est beaucoup trop limité pour pallier ces difficultés. L’an dernier, nous avons fait deux demandes d’AVS qui ont été refusées, parce qu’il n’y avait pas de trouble d’apprentissage, mais « seulement » des troubles du comportement.
Ce qui me pose le plus de problèmes, comme à mes collègues, ce sont ces troubles. Un enfant qui va faire preuve de violence verbale ou physique, de grosse colère, peut difficilement être isolé puisque nous devons gérer l’ensemble du groupe.
Dans la mesure où nous n’avons pas d’adultes supplémentaires dans l’école, nous – enseignant·es comme les autres enfants – devons supporter ces crises. C’est dur.
Les enseignant.es spécialisé.es ne sont pas en nombre suffisants. Dans le cas de notre école, une enseignante spécialisée est affectée sur 3 écoles et n’intervient qu’une journée chez nous. C’est mieux que rien, mais bien insuffisant pour suivre tous les élèves qui en ont besoin.
Quel est l’impact de la « situation sociale » des familles sur la vie à l’école ?
Une petite école de campagne semble souvent protégée par rapport aux établissements situés dans les « grandes villes », voire les fameuses « banlieues sensibles ». Ce n’est malheureusement pas le cas, même si l’on en parle beaucoup moins.
Les familles en campagne sont confrontées au chômage. Les gens sont isolés.
Nous retrouvons beaucoup d’alcoolisme ou de violences familiales. Ces fléaux sont évidemment importés à l’école, qui ne peut plus être un espace préservé de son environnement social.
Nous retrouvons des enfants souvent livrés à eux- mêmes lorsqu’ils sortent de l’école. Ils errent donc dans le village et, inévitablement, font des bêtises qui les mettent en danger.
La mise en œuvre du dispositif « classes de 12 élèves » en zone sensible est indispensable. Mais il ne faut pas focaliser cet effort sur quelques régions médiatisées. De nombreuses écoles de campagne vivent les mêmes difficultés et auraient grand besoin de ces moyens supplémentaires.
Quelles sont tes principales difficultés au quotidien ?
En tant qu’enseignante, ce serait peut-être la relation avec les parents. Ils sont majoritairement très gentils ou agréables. Mais la société est anxiogène, et les parents reportent cette anxiété sur leur enfant, donc sur l’école. Chaque matin, j’ai au moins 6 parents qui me sollicitent pour des questions. Ils ont besoin d’être rassurés. D’être convaincus que leur enfant va bien. Qu’il ne prend pas de retard dans les apprentissages. Se cache derrière le besoin de vérifier qu’il s’en sortira dans la vie. Et en débutant à 3 ans, ils n’ont pas fini. C’est malgré tout une charge de travail, et une charge psychologique très importante pour nous. Ce temps-là n’est absolument jamais comptabilisé dans notre temps de travail…
D’autre part, en tant que professeur dans le privé, nous sommes vraiment submergés de bénévolat obligatoire.
Dans une petite école rurale, nous devons tout faire. Surveillance, garderie… voire parfois travaux dans l’école, à la demande des parents d’élèves. Les moyens financiers relèvent vraiment des « bouts de chandelle », y compris pour changer des ampoules ou acheter des feutres. La suppression des contrats aidés est vraiment une couche supplémentaire qui va accentuer les difficultés.
J’ai de la chance, par rapport à des collègues d’autres écoles : au moins on ne nous impose rien sur le plan « pastoral ».
Pourquoi tu penses que « ça va craquer » ?
Le rythme de travail est épuisant. Avec 30 élèves et pour gérer des comportements d’enfants aussi différents, cela demande une énergie formidable.
Dans les classes de l’école primaire, nous assistons vraiment à des scènes de violence. En classe ou à la récréation, matin, midi ou soir, ça ne s’arrête jamais et les collègues sont sur le qui-vive en permanence. Inévitablement, à certaines périodes de l’année, on craque… Et dans ce cas-là, nous n’avons aucun soutien, ni de l’Inspection Académique, ni de l’institution catholique.
Notre directrice est débordée de démarches administratives. Des quantités de mails à lire chaque jour. Elle n’a qu’une journée de décharge pour ça. Et elle utilise bien souvent ce temps pour prendre le relais des enseignant.es qui, par exemple, doivent isoler un élève en crise ou gérer des cas particuliers. Nous n’avons jamais le temps de souffler. La structure tient grâce à l’ensemble de l’équipe. Dès qu’un rouage se grippe, c’est tout l’édifice qui craque. Plusieurs fois dans l’année, je retrouve ma directrice en pleurs. Elle a une responsabilité forte et la pression est très lourde.
J’ai l’impression que la violence de nos pré-ados est de plus en plus forte, même si tous sont adorables individuellement. Ils ont de plus en plus de mal à vivre ensemble. Je crains que les années collège soient vraiment très dures. Le problème est-il véritablement pris en compte ? Je ne le crois pas…
En classe ou à la récréation, matin, midi ou soir, ça ne s’arrête jamais et les collègues sont sur le qui- vive en permanence.
Il y a aussi des enfants et des familles qui « vont bien » ?
Oui, heureusement. Sur un groupe de 30 élèves, j’en ai 10 qui sont en grande difficultés sociale, familiale et dans les apprentissages. Une quinzaine vont bien et s’épanouissent à l’école. Il en reste 5 qui sont « au milieu du gué », et que j’espère faire basculer « vers le haut ». Tout comme les 10 premiers, d’ailleurs. Mais c’est beaucoup plus compliqué !
Et tes principales sources de satisfaction ?
Heureusement, j’en ai beaucoup également. J’adore enseigner. J’ai la chance d’être dans une équipe qui se questionne. Qui a envie d’innover. C’est nourrissant intellectuellement.
Nous avons des parents qui viennent donner un coup de main. C’est indispensable pour faire fonctionner notre école.
Et au niveau des élèves, dans la mesure où je les suis durant plusieurs années, je peux observer leur évolution. Le langage qui s’installe, un vocabulaire de plus en plus riche, le développement de leur curiosité. Ils ne le savent pas, mais à cet âge-là, ils ont « envie d’apprendre ».
C’est génial.
En cette rentrée « 2017 », l’enseignement catholique veut « réenchanter l’école ». Qu’est-ce que cela signifie pour toi ?
Sincèrement, pas grand-chose. Et pourtant j’ai lu la plaquette. Je considère que cela relève du discours ambiant un peu niais que l’on nous sert souvent dans l’enseignement catholique.
A titre d’exemple, nous n’avons plus de formation pédagogique ou sur les apprentissages, mais sur « la discipline positive » ou « la bienveillance ». On est en décalage avec la réalité !
Les enseignants peuvent-ils réenchanter leur école ? En réalité, il faudrait réenchanter la société.
Il faut réduire le chômage et les inégalités. Il ne faut plus que les parents soient obligés de laisser leur enfant chez la nounou à 4h du matin pour commencer le boulot à 5h. Il faut que leurs salaires permettent de profiter des vacances ou de véritables week-end.
Là, peut-être, nous connaîtrons un véritable réenchantement.
Retrouvez cet article dans le Trait d'Union de décembre 2017 et ici en version pdf
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