Bilan confinement : parole au 1er degré degré en version pdf
La rentrée du 2 novembre dernier était particulière à plus d’un titre.
Tout d’abord, avec le recueillement et l’hommage à notre collègue Samuel Paty assassiné parce qu’il faisait son boulot, puis compte tenu de la gestion forcément anxiogène du virus qui circule activement sur le territoire et qui pèse sur notre quotidien. Dans ce contexte, vous avez répondu massivement à notre enquête nationale.
Vous trouverez ci-dessous le bilan de vos réponses.
Plus de 200 collègues du 1er degré ont répondu à notre enquête.
Ils sont unanimes sur la méthode : c’est insupportable d’apprendre par la presse ou la TV ce que nous allons devoir mettre en place le lendemain ou les jours suivants ! |
Une rentrée sous le signe des injonctions médiatiques
D’emblée, les résultats du sondage montrent à quel point les enseignants qui y ont répondu sont attachés à leur profession, et ne demandent qu’à bien faire leur métier. 80% des sondé·es ont indiqué être favorables à ce que les écoles restent ouvertes malgré le contexte sanitaire. On y voit là la volonté de continuer à assurer nos missions d’enseignement, de ne pas lâcher les élèves, parce que l’on a en mémoire les difficultés du 1er confinement, qu’elles soient techniques et/ou pédagogiques. Les enseignants demeurent fidèles au poste, et en cela, le ministère devrait reconnaître leur implication, car ils montrent une fois de plus leur professionnalisme.
La connaissance du nouveau protocole sanitaire publié quelques jours avant la rentrée pose question. En effet, plus d’un tiers des sondés indique qu’il en a eu connaissance via les médias, et un autre tiers via son établissement de rattachement.
Dès la première question, les réponses confirment le ressenti général : les enseignants du 1er degré ne sont pas destinataires d’une communication hiérarchique spécifique. Cela contribue largement aux sentiments d’abandon et de mépris de la part de notre employeur.
Le score est sans appel : à 93%, les enseignant·es désapprouvent que les informations les concernant ne leur soient pas adressées et qu’ils les découvrent comme tout un chacun via les médias et/ou les réseaux sociaux.
Si cela était général, pour tous les corps de métier, on pourrait s’en convenir, mais notre profession a le droit un régime de faveur : ne jamais consulter ses agents, ne jamais communiquer avec eux.
Le ministre détourne le regard quand il s’agit de s’adresser à ceux qui font (encore) fonctionner la boutique. On n’a jamais vu un corps de métier se faire piétiner ainsi !
La mise en œuvre du protocole dans les écoles
Les réponses sur la mise en place de ce protocole qui n’a de renforcé que le qualificatif sont également riches d’enseignement.
Tout d’abord, 62% des sondés estiment qu’il est partiellement applicable en l’état : en effet, les contraintes sont moins nombreuses qu’en mai, la mise en œuvre est donc possible.
Toutefois, 30% estime qu’il n’est pas possible de l’appliquer. La réalité et le vécu des enseignants sont divers…
De plus, 40% des sondé·es dit avoir été concerté en équipe quant à la mise en place du protocole ; cela dit, 38% ne l’a été que partiellement. L’addition de l’urgence de la publication tardive, de la mise en place du protocole, ajouté à la valse d’annonces le vendredi 30/10, font que les équipes n’ont pas été partie prenante de la mise en place des mesures sanitaires dans les écoles. Pour beaucoup, cela s’est limité à quelques points de détails réglés entre deux portes ou sur la cour de récréation.
Pour la bonne réussite de la mise en place, un temps aurait été nécessaire. L’intelligence collective est meilleure conseillère que la solitude d’un chef d’établissement devant tant de difficultés et d’obstacles présentés par le protocole.
72% des sondé·es estiment que le protocole est partiellement respecté dans leur établissement, cela témoigne du sérieux et de l’implication des chefs d’établissement et des enseignant·es.
Mais il convient de relativiser ce score, car le protocole use et abuse du « quand c’est possible ». Il est facile de se dire que le protocole est respecté quand on sait qu’une partie est occultée. En acceptant de mettre des œillères, on n’a qu’une vue parcellaire de la réalité…
La mise en œuvre du protocole pour les équipes
La mise en œuvre du protocole apporte un cadre qui a des conséquences sur le quotidien des enseignants.
En effet, certains adhérents avaient fait remonter que les temps de convivialité entre enseignants avaient été rabotés au nom du protocole. Cela s’est confirmé dans les réponses : si 56% a vu les accès aux salles de repos maintenus, cela s’est vu avec un roulement pour maintenir la distanciation pour 30%.
Pour 15% des sondés, l’accès en salle de pause a même été fermé. Nous vivons des moments anxiogènes, que nous traduisons tous de manières différentes, mais empêcher les enseignants de passer un moment de convivialité sur leur lieu de travail ne peut que favoriser l’isolement.
Comment être solidaires, se serrer les coudes si on ne peut même plus se fréquenter ? Est-ce normal de laisser un enseignant déjeuner entre deux corrections dans sa classe ?
Au-delà de l’accès aux salles de pause, la mise en place du protocole a des conséquences directes sur l’emploi du temps des enseignants. En effet, de nombreuses tâches se sont ajoutées au quotidien pour réussir l’ambitieux plan sanitaire. Sous pression, les enseignants ont accepté à 42% des temps de surveillance supplémentaires, 48% a accepté de nettoyer et désinfecter les locaux. Fort heureusement, pour 30%, rien n’a été demandé en plus.
Sous couvert de protocole sanitaire, un glissement des tâches s’est effectué. Il faut rester vigilant à ce que ces temps supplémentaires soient reconnus et validés, et qu’ils ne soient pas du bénévolat contraint, comme c’est le cas pour 60% des sondés. Pour rappel, le nettoyage des classes ne fait pas partie des attributions et missions des enseignants, mais incombe à l’OGEC. Il faut embaucher !!!
A ce sujet, les 108h réglementaires ont été maintenues pour 70% des sondé·es, comme s’il fallait assurer en plus des contrôles sanitaires qui nous sont demandés, notre travail ordinaire. Tout va très bien, madame la marquise ! circulez, y’à rien à voir ! Seuls 20% des sondés ont vu ces temps suspendus…
Les temps de formation ont également été maintenus en présentiel pour 66%.
Envisager la poursuite de l’année scolaire apporte aussi son lot de réponses contrastées : 33% des sondés pensent que les écoles vont rester ouvertes tandis que 35% pense qu’il y aura des aménagements en demi-groupe. 17% estime que les établissements vont fermer, tandis 16% n’a pas d’avis sur la question. Les résultats sont divers, et cela est sans dû au vécu dans chaque région. On ne répond pas de la même manière selon l’impact du virus dans notre secteur…
A la reprise du 2 novembre, seuls 54% des enseignants avaient reçu de nouveaux masques. Exit Dim, vive Corelle ! 47% n’ont rien eu, ou les ont reçu plus tard… Les enseignants sont choyés ! Quant aux masques transparents promis par le ministre, 85% des enseignants n’en ont pas vu la couleur. Moins de 7% en ont eu, sans doute par l’action des établissements…
En cas de fermeture des écoles, les enseignants ont tendance à ne pas se sentir prêts. 20,6% ne l’étant pas du tout.
Le métier pouvant difficilement s’exercer hors de la classe, il est compliqué de se projeter de nouveau sur plusieurs semaines d’école à la maison, le lien avec les élèves restant difficile à maintenir. Tout le travail de préparation et de communication avec les familles continue de se faire avec le matériel personnel. L’Éducation Nationale n’ayant fourni aucun équipement. Sans compter l’absence totale de formation à une maîtrise optimale des outils informatiques.
Cependant concernant la santé physique et le stress engendré par les conditions de travail, d’importantes inquiétudes sont révélées par le questionnaire, la rentrée du 2 novembre étant qualifiée de « pas du tout sereine » par 46.7% des personnes interrogées.
L’espace laissé à la parole libre est riche d’enseignements et permet de mettre des mots sur nos maux.
L’impossible application du protocole notamment à l’école maternelle est au cœur de ces préoccupations. Beaucoup se demandent pourquoi l’école est le seul lieu où on autorise le brassage d’un grand nombre de personnes (enfants, enseignants, parents d’élèves) alors qu’on recommande à tout le reste de la société de se confiner. Cela semble absurde.
Tout est fait dans l’urgence, dans un manque total d’anticipation, le tout reposant sur les chefs d’établissements et les équipes constamment sous pression.
Les enseignants sont fatigués voire épuisés pour certains de la surcharge de travail demandée : surveillances supplémentaire, nettoyage… Le refus catégorique et totalement légitime de certains d’exécuter ces tâches les mettant en porte à faux vis-à-vis des équipes.
La gestion plus qu’aléatoire des enfants malades et des cas contacts pose aussi question. Certains parents amènent leurs enfants à l’école alors qu’ils présentent des symptômes, ne prenant même pas la peine de prendre la température ou de consulter un médecin. Ils ne sont donc pas testés ou ni même isolés quelques jours à la maison, donnant la sensation que l’école n’est qu’une garderie… Peu importe ce qu’il s’y passe à l’intérieur, l’important étant que les parents puissent travailler.
Il faut rappeler que les études récentes montrent que les enfants symptomatiques sont tout aussi contagieux que les adultes. La grande interrogation restant sur la contagiosité des enfants positifs mais asymptomatiques.
Le port du masque chez les enfants pose aussi question, notamment en CP en plein apprentissage de la lecture, ne devrait-on pas doter les écoles de masques inclusifs ?
La volonté des équipes est pourtant très simple : enseigner en sécurité. Leur laisser du temps et surtout les moyens humains et matériels pour se préparer et gérer le quotidien.