Un lycée modulaire et inégalitaire pour les élèves – Des conditions dégradées pour les enseignant·es
Le 24 janvier 2018, Pierre Mathiot, missionné par le ministre de l’Éducation Nationale, a remis son rapport portant sur la réforme du bac et du lycée.
Le 14 février, après avoir auditionné entre autres les organisations syndicales, J.M. Blanquer présentera son projet en Conseil des ministres.
Si l’on peut s’accorder sur certains constats, ce projet envisage plusieurs mesures qui modifieraient profondément la philosophie du lycée et impacteraient significativement les conditions de travail des personnels, contrairement à ce que voudrait nous faire croire la communication ministérielle.
Le ministre assure que rien n’est acté, mais a déjà confirmé les 4 épreuves finales. Alors, que retiendra-t-il d’autres ? Décryptage de ce projet.
Une structure en deux blocs pour ce futur bac
L’architecture est mise en place pour que 75 % des résultats du bac soient pris en compte dans Parcoursup.
L’EPS reste en CCF et les langues vivantes pourraient connaître une certification numérique.
Un candidat sera déclaré admis avec une moyenne supérieure ou égale à 10/20.
Dans le cas d’un résultat compris entre 8 et 10, il n’y aurait plus d’oral de rattrapage mais « un examen de la situation des élèves » basé sur le livret scolaire (Première et Terminale). Les élèves alors déclarés admis se verraient attribuer des « points jury ».
Concernant les options, fin du système où seuls les points au-dessus de 10/20 comptent. Le système des mentions est maintenu.
Le grand oral porterait sur un sujet pluridisciplinaire, choisi par l’élève dès la Première, obligatoirement associé à l’une au moins des disciplines d’approfondissement, travaillé en groupe ou seul, mais présenté à l’oral individuellement, devant un jury composé de trois personnes (deux enseignant·es et une troisième personne non définie dans le projet…)
Quelle structuration pour le « nouveau lycée » ?
Chacune des trois années du lycée serait découpée en semestres, constitués chacun de trois unités :
- U1 : Unité Générale (disciplines communes, suivies par tous les élèves)
- U2 : Unité d’Approfondissement et de Complément (Majeures, Mineures et option)
- U3 : Unité d’Accompagnement (orientation, méthode de travail, projets collectifs)
NB : aucun horaire n’est proposé pour chaque discipline…
Choix des Majeures, deux scenarii possibles :
- les élèves peuvent choisir pleinement leurs Majeures et Mineures (par semestre) ce qui pourrait conduire à une modification du cadre réglementaire pour envisager la variation des services des enseignants
- à statut réglementaire constant, envisager un nombre de places préalablement défini par Majeures et Mineures
Possibilité de proposer localement d’autres couples de Majeures (si au moins 10 ou 12 élèves inscrits)
Listes nationale des couples de Majeures :
– maths-SES
– SES-HG
– Littérature-enseignements artistiques et culturels
– Littérature étrangère-LVA ou LV2
– Littérature-LCA
– Maths-informatique
– Maths-physique chimie
– Physique-chimie/SVT
– Maths-Sciences de l’ingénieur
– 7 Majeures « enseignement techno » (disciplines actuelles de cette voie)
Quelles conséquences pour les élèves ?
En soi, briser la hiérarchie qui n’a pas lieu d’être entre les filières actuelles (S – ES – L) n’est pas une mauvaise chose. Mais si la solution passe par l’instauration de matières « majeures » et « mineures », le remède risque d’être pire que le mal. L’instauration d’un lycée modulaire, avec des choix précoces, dès la 2nde, qui engagent très fortement, notamment pour l’entrée à l’Université n’est pas acceptable.
Ce projet valide et donc accentue une rupture de l’égalité sur le territoire pour les élèves. En effet, une part non négligeable de l’obtention du bac sera liée à l’établissement. Ensuite, parce que l’offre des différents enseignements (Majeures et Mineures) pourra ne pas être identique partout.
Quant au schéma proposé, il s’agit d’une véritable « usine à gaz », avec des parcours illisibles qui engageront dans la perspective d’études post-bac. Il faudra faire les bons choix, très tôt. Ainsi, « ceux qui savent » choisiront mieux leurs parcours, avec comme corollaire un accroissement du déterminisme social.
Sera-t-il possible de changer de Majeure ?
A priori, impossible en cours d’année de Première, mais possible entre la Première et la Terminale (« droit à l’erreur »). Des conditions sont posées du type « possible si la nouvelle Majeure de Terminale a été suivie en Mineure en Première pendant au moins un semestre » ou bien suite à l’organisation de périodes de rattrapage en fin de Première ou début de Terminale.
Comment choisir les Mineures ?
Elles peuvent être choisies en complément logique des Majeures ou bien partiellement ou totalement en dehors de la famille des disciplines de la Majeure (ex : Majeures maths/physiques-chimie et Mineures SES/histoire-géographie)
Proposition d’enseignements nouveaux en Mineures : EPS (pour servir d’introduction aux études de Staps) et « culture humaniste » durant deux semestres de Première , « science politique » à la place de la Mineure SES et Droit et grands enjeux du monde contemporain en Terminale.
Les rapporteurs évoquent des problèmes possibles quant à l’effet sur l’organisation du groupe classe. Aussi préconisent-t-ils deux catégories différentes de classes, celles à Majeures scientifiques et celles à Majeures non scientifiques. Chacun appréciera le sens induit par la qualification négative de ce second groupe…
Calendrier de mise en place de cette réforme
Le nouveau bac est prévu pour la session 2021, cela concerne donc les élèves qui entrent en Seconde en septembre 2018.
Pour la rentrée 2018, a priori pas de grand changement annoncé même pour les Secondes, si ce ne sont « quelques éléments permettant d’indiquer une direction » : un test numérique de positionnement à la rentrée, une concentration de l’AP sur l’expression écrite et orale et un travail sur l’orientation avec du temps supplémentaire.
Le Conseil Supérieur des Programmes a été saisi pour une réécriture des programmes qui seront effectifs à la rentrée 2019 (en Seconde et en Première).
Quelles conséquences pour les profs ?
A n’en pas douter, ce projet aura un impact sur nos conditions de travail.
La répartition des services entre enseignant·es va dépendre des choix des élèves et par conséquent de l’organisation des emplois du temps mise en œuvre par les directions.
Le tronc commun, beaucoup plus large qu’aujourd’hui, permettra de nombreuses économies et des suppressions de postes, dans des classes inévitablement plus chargées par le regroupement de sections. Il est d’ailleurs question de permettre d’associer des élèves de Première et de Terminale.
Le choix d’organisation de ce lycée pourrait conduire à une modification du cadre réglementaire de nos services, avec une annualisation possible (entre 16h et 20h pour un·e certifié·e, 13h à 17h pour un·e agrégé·e), Même limitée, cela n’est pas acceptable car c’est une véritable porte d’entrée pour une généralisation future, qui impacterait aussi les profs de collège (soumis aux même ORS que ceux de lycée).
Dans tous les cas, l’évaluation dans le cadre de l’établissement (déjà appliquée au Lycée Professionnel) ajoutera :
– une forte surcharge de travail pour les enseignant·es, qui devront organiser seul·es ces épreuves en cours d’année,
– une inégalité de situation d’un établissement à l’autre ou sur le territoire, puisque les épreuves ne seront plus encadrées comme aujourd’hui,
– une mise en concurrence des établissements et des enseignant·es avec une pression des notes « à la hausse », puisqu’elles seront attribuées dans chaque lycée. Évidemment, puisque si vos notes sont moins bonnes que celles du lycée d’à côté, c’est que vous êtes un moins bon prof que votre collègue !
Un certain nombre de disciplines se retrouvent « en danger », car absentes du tronc commun et peu présentes dans les binômes de Majeures (certaines langues vivantes ou la SVT, par exemple).
Des éléments différents pour le privé ?
Le rapport préconise une autonomie régulée avec une implication accrue des personnels, évoquant le rôle du conseil pédagogique. Or, cette Instance n’existe pas, ou pas officiellement dans le privé… Pour la transparence, ce n’est pas gagné.
Et rappelons que contrairement à nos collègues du public, si nous n’avons pas un temps plein, ce qui risque de se produire dans certaines disciplines, nous ne sommes rémunérés qu’à proportion du nombre d’heures effectuées ! Il y a fort à parier que les temps incomplets, déjà trop nombreux, vont se multiplier.
Empoignades dans la salle des profs ?
Un certain nombre de matières pourront être partagées par des enseignants de différentes disciplines, ce qui laisser présager de belles empoignades dans les équipes pour répartir ces enseignements, notamment dans un contexte de perte d’heures…
A la CGT, le lycée que nous voulons !
- Nous souhaitons une école qui permette à tou·tes de réussir et qui n’a pas comme fonction de trier les élèves,
- Nous voulons une école qui fournit une culture générale et technologique commune, qui émancipe et permet la formation de citoyen.nes éclairé.es.
- Nous réaffirmons notre attachement au maintien du bac comme 1er grade universitaire et seule condition d’entrée à l’université et non outil de sélection pour le supérieur.
- Nous préférons la coopération plutôt que la mise en concurrence des établissements.
- Nous demandons une baisse des effectifs par classe (24 au lycée).
- Nous sommes contre l’annualisation du temps de travail des enseignant·es.
- Nous rappelons notre attachement à la liberté pédagogique des enseignant·es.
Pour l’Enseignement Privé, nous demandons la création d’une véritable instance élue au sein des établissements pour valider les choix des équipes pédagogiques, sur le modèle des Conseils d’Administration du public.
A lire, partager et télécharger ici
Dès ce mardi 6 février, la mobilisation monte dans les académies contre ce projet.
Retrouver les lieux de manifestation en contactant nos responsables académiques : Contact CGT par académie